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Anne Leterrier, professeur de théâtre et musique

Pouvez-vous vous présenter ? Nous définir votre métier ?


Je m’appelle Anne Leterrier, j’ai fait des études de musicologie à Paris, à la Sorbonne. Après avoir passé le concours de professeur des écoles, j’ai enseigné en école maternelle pendant 5 ans. En parallèle, j’ai toujours continué à étudier la musique et le théâtre. Le théâtre, à l’atelier Blanche Salant ; la musique, depuis toute petite, au conservatoire pour la flute traversière, puis le chant.
Ma formation théâtrale commence par 8 ans d’improvisation ! Je considère que l’improvisation théâtrale avec les enfants est une formidable porte d’entrée vers le théâtre : si l’on n’apprend pas à vivre les émotions des personnages que l’on choisit, si l’on n’apprend pas à jouer un personnage, on ne pourra pas passer au texte. D’abord, on travaille le personnage en ressentant ce qu’il vit, en faisant sa biographie, pour ensuite se permettre de coller un texte dessus.

J’ai en ce moment trois projets de musique où je suis chanteuse. Il y a pas mal de répétitions, de résidences… Bien que l’actualité rende la chose un petit peu compliquée… Je suis aussi professeure de chant dans une école de musique à Versailles. Je vais bientôt donner de petits concerts et diriger des interventions musicales en crèches pour partager un moment de musique !
Depuis septembre 2019, j’ai quitté l’Éducation nationale pour me consacrer pleinement à la musique et au théâtre. Comme je trouvais ça trop facile, j’ai choisi l’année de la pandémie mondiale pour que ce soit plus sympa !!!

 

Qu’enseignez-vous à la Compagnie Maya ?


J’ai commencé par co-diriger des stages pendant les vacances scolaires, puis ai fait quelques remplacements. Depuis la rentrée, je dirige deux cours par semaine de théâtre pour les 6-10 ans, et je continue à donner des stages pendant les vacances ; le prochain est celui de Comédie Musicale aux vacances de février. J’aime pouvoir confronter deux arts, le théâtre et la danse. Être en binôme et travailler avec un professionnel de la danse pour construire un spectacle avec les enfants, c’est riche. On réfléchit à mêler les deux arts pour construire un projet ensemble ; c’est collectif comme fonctionnement, ça me plait bien.

 

Comment se sont passés vos premiers ateliers ?


Ce qui est intéressant, c’est la progression sur l’année, avec des étapes que l’on aborde dans un ordre défini. Ce qui permet de voir différentes choses au fur et à mesure de l’année. Cela pour palier le quotidien et ne pas tomber dans l’habitude. Je donne des objectifs par période. Par exemple, jusqu’aux vacances de la Toussaint, nous ne parlons pas de spectacle, ni de texte. Nous avons commencé avec l’improvisation, le travail des émotions, on prend le temps. Il s’agissait pour moi de faire connaissance avec le groupe et de les faire se rencontrer entre eux afin de créer une ambiance de petite troupe de théâtre, où chacun connaît les points forts des autres.

Plus tard dans l’année, j’aimerais qu’on progresse sur les improvisations, en apprenant notamment à s’écouter davantage. Nous apprenons à construire une histoire avec un début, un milieu, une fin. En apprenant à faire avancer l’action, nous devons accepter ce que l’on nous demande. C’est aussi ça le théâtre. Nous allons continuer en ce sens, toujours grâce au panel des émotions qui nous aide à travailler, nous avons pour le moment étudié la joie et le rire.

 

Quelles sont les qualités à avoir pour travailler avec les enfants ?


La base, c’est l’écoute. Tous les enfants sont très différents les uns des autres, et ont tous des attentes et des besoins différents. Ce sont justement toutes ces attentes qui vont créer la force du groupe. La question est : comment est-ce que l’on s’empare de toutes ces personnalités pour en faire une vraie troupe. Je commence et termine toujours mes cours par une chanson. Chaque élève sait que quand il en a envie, il vient au cours avec une chanson. Un petit rituel est mis en place : se mettre derrière le rideau, se préparer, lorsque l’on entre sur scène, on est applaudi, on chante, puis on est encore applaudi avant de ressortir. Cela pour travailler la posture scénique. Certains appréhendent ; pour d’autres, c’est très facile. Un exercice n’est jamais fait pour être réussi, il est proposé pour faire naître quelque chose. Nous plantons des graines en espérant que cela pousse un jour. C’est comme en philosophie, lorsqu’on nous pose des questions, nous ne sommes pas là pour y répondre, mais plutôt pour y réfléchir et avancer. Les enfants ne sont jamais forcés de monter sur scène. Par contre, si on choisit de le faire, on y va à fond ! Je ne suis pas quelqu’un de strict ou sévère, mais je suis exigeante : je considère que si ils sont là, c’est pour se comporter comme des comédiens. On joue le jeu des comédiens.

 

A quoi faut-il faire attention ?


Il faut faire attention qu’aucune personnalité ne soit laissée sur le bord de la route, que tout le monde avance de là où il est. C’est très facile dans un groupe de ne pas trouver sa place ; la difficulté est que chacun se sente bien où il se trouve. Il s’agit à chaque fois de valoriser ce que font les enfants.

 

Comment dirige-t-on un enfant dans la pratique artistique?


Je ne dirige pas, je n’impose pas. L’enfant vient comme il est avec sa personnalité, sa vie, son histoire, et c’est déjà énorme s’il arrive à faire vivre ça sur une scène. Plein d’enfants arrivent au cours de théâtre en faisant les clowns et en faisant des grimaces. Ils se cachent derrière un masque en faisant le show. Je leur explique tout de suite d’arrêter de se cacher, qu’ici c’est le théâtre, il s’agit d’être vrai. Les enfants comprennent très vite. D’ailleurs, on le voit tout de suite si un enfant rigole vraiment ou s’il fait semblant. Ce n’est pas de la direction, mais déconstruire les clichés que l’on peut avoir du théâtre, et de ce que c’est que de jouer sur scène pour ensuite revenir à leurs fondamentaux. Dans la cour de récré, ils jouent, mais ne font pas les clowns, ce sont des jeux faits très sérieusement. Une petite fille qui prend le rôle d’une reine ou d’une présidente doit le faire vraiment, en sentant la responsabilité du pays sur ses épaules. C’est ce qu’il faut retrouver sur scène. C’est pour cela aussi que le texte n’est pas vraiment important. L’imaginaire d’un enfant est si riche, que ça n’a pas de sens de lui imposer un texte. Nous allons créer le texte ensemble à partir d’improvisations, cela viendra de façon très spontanée.

 

Quels sont les retours des enfants en général ?


Au début, il y a toujours un temps où je leur explique le programme, je demande s’il y a des questions, s’ils ont besoin d’une petite étape pour entrer dans le cours. A la fin de chaque séance, on s’assoit en cercle, en tailleur, pour s’envoyer chacun son tour un ballon de parole. Cela pour expliquer et pousser ses ressentis : sur quoi j’ai avancé, qu’est-ce qui m’a plu chez les autres… Tenter de pousser un peu plus la réflexion. C’est important pour moi d’avoir ce bilan là, c’est un outil pour le cours d’après.

 

Quels sont vos échanges avec les parents ?


Au début de l’année, il y avait quelques questions plutôt après le cours, certains parents me demandent des bilans à chaque fois, d’autres non, cela dépend des familles. Avec les conditions sanitaires en ce moment, il faut limiter ces échanges, bien qu’ils soient très importants. Ce qui est drôle, c’est que j’ai retrouvé des élèves dont j’étais la professeure des écoles.

 

Quels sont les bienfaits du théâtre pour les enfants ? Qu’est-ce que tout cela apporte ?


Le théâtre a cet objectif d’écouter, d’apprendre à écouter, apprendre à partager, à prendre plaisir à partager, et puis le théâtre, c’est aussi accepter de ressentir des émotions fortes. Parfois dans mes cours, un enfant explose de rire, une se souvient d’un cauchemar, et un autre se met à pleurer car sa chanson l’a ému… Il faut oser y aller, et passer au dessus d’une certaine pudeur, qu’il n’y a d’ailleurs pas trop chez les enfants et plus chez les adultes. C’est peut-être pour ça que je préfère faire du théâtre avec les enfants.

 

Qu’aimez-vous le plus dans votre métier de professeur de théâtre / musique ?


Parce que c’est un métier humain, tu ne fais pas ce métier si tu n’as pas d’amour à donner, si tu n’est pas altruiste. J’aime le théâtre, voir des enfants qui prennent plaisir à construire des choses sur une scène me plaît beaucoup. Aussi le fait de réussir à défendre quelque chose sur scène, de se demander comment et pourquoi nous souhaitons dire certaines choses, c’est ce qui va se passer quand on va commencer l’écriture de la pièce, quel message on souhaite faire passer. Ce qui me plaît beaucoup, c’est permettre à des enfants de s’exprimer par ce biais-là, donner la possibilité de le faire. Il y a quand même l’idée de se rendre compte que lorsqu’on est plusieurs pour tenter de faire passer un message, c’est bien plus efficace que lorsque l’on est seul… Ça me plaît, ça m’anime.

 

Vous faites aussi de l’improvisation ? Vous pouvez nous en parler ?


J’ai commencé l’improvisation à la fac, puis j’ai intégré une autre compagnie, Paris Impro avec qui j’ai pris des cours, puis participé aux spectacles en tant qu’assistante arbitre, j’ai aussi travaillé pour l’administration de cette compagnie. L’improvisation permet de comprendre l’intérêt du texte. Dans mon école de théâtre, on commençait toujours par une improvisation de la scène qu’on allait jouer avant de l’apprendre, pour faire vivre son personnage et comprendre ses facettes.

 

Quelles sont vos dernières actualités ? et futurs projets ?


J’ai pour projet d’instaurer des ateliers philosophiques pour les enfants à la Petite Rockette, un café associatif de quartier du 11e arrondissement de Paris. J’ai fait beaucoup de philosophie avec les enfants lorsque j’étais maîtresse d’école. C’est d’ailleurs le point de départ de beaucoup d’œuvres artistiques que je construis avec les enfants en cours de théâtre. Par exemple, nous partons d’une réflexion, d’une discussion dans l’idée de délivrer un message. Cette semaine, nous travaillons l’écriture d’une chanson avec pour thématique philosophique, le bonheur. Les ateliers philosophiques sont une bonne impulsion pour les enfants. Investir réellement un sujet, faire un travail de fond.

Pouvez-vous nous raconter un bon souvenir de cours ?


J’ai une enfant qui s’appelle Adèle dans mon groupe. Elle n’osait pas trop chanter, l’idée l’angoissait. Un beau jour, prête, elle s’est mise à chanter sa chanson, elle était complètement investie par le texte. Une vieille chanson française qui s’appelle « Je t’écris de la main gauche ». C’était à travers son souvenir qu’elle a chanté la chanson. Elle était émue car pleinement dans son souvenir. Elle a osé y aller et elle a touché beaucoup de personnes. Ça valait vraiment le coup, c’était très chouette.

J’utilise le chant en entrée et sortie de mes cours, car c’est très difficile de chanter sans montrer de toi. Quand tu chantes, tu te mets à nu, c’est quelque chose qui vient de l’intérieur que tu présentes à l’extérieur. C’est une sensation très puissante. Être seul sur scène et chanter, c’est un engagement supplémentaire. C’est beau un enfant qui chante, qui arrive simplement avec la volonté de délivrer une chanson.



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